Il était très attendu depuis la publication du Plan Eau gouvernemetal au printemps 2023. Après une période de consultation, le décret n°2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées a été publié. Il vise notamment à augmenter le nombre de projets de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) sur le territoire national. Quelles opportunités pour les territoires soumis au stress hydrique ?

Un gisement étendu aux petites stations d'épuration urbaines

Le nouveau décret, qui vient abroger celui du 10 mars 2022, porte sur les eaux résiduaires urbaines et industrielles ainsi que sur les eaux de pluie. Concernant les eaux résiduaires urbaines, il permet maintenant d'accéder à des gisements de petites unités de 200 EH (équivalents-habitants). Les eaux industrielles sont celles des ICPE, à l'exception de celles des abattoirs et collecte/transformation des sous-produits animaux (sauf traitement thermique spécifique). Les eaux de pluie qui peuvent être autorisées sont celles issues du ruissellement sur les toitures dites inaccessibles au public (hors entretien et maintenance).

Des usages encore très encadrés

Les usages domestiques des eaux usées traitées à l'intérieur des habitations et dans les établissements recevant du public et/ou dits sensibles ne peuvent pas être autorisés. Il n'est donc pas envisageable d'utiliser l'eau pour la boisson ou la préparation alimentaire. Il n'est pas non plus possible d'utiliser ces eaux pour l'hygiène corporelle et le lavage du linge. Les usages domestiques des eaux de pluie à l'intérieur et à l'extérieur des habitations restent possibles dans les conditions fixées par l'arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments. Les usages non domestiques des eaux pluviales ne sont pas soumis à autorisation.

Des usages définis par des arrêtés spécifiques préciseront les exigences en matière de qualité d'eau et les modalités de surveillance. Il s'agit notamment de l'irrigation agricole dont un arrêté devrait être prochainement publié. Il intégrera les exigences du règlement européen 2020/741 du 25 mai 2020 applicable depuis juin 2023. Il est également prévu un prochain arrêté pour l'arrosage des espaces verts et de loisirs qui intègrera, quant à lui, les exigences actuelles de l'arrêté du 2 août 2010 relatif à l'utilisation d'eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts qui sera abrogé. Un troisième arrêté viendra préciser les exigences pour les usages urbains (hydrocurage des réseaux, lavage de voirie notamment).

Deux décrets et d'autres arrêtés sont également envisagés et très attendus par les acteurs concernés. Ils portent sur l'utilisation des eaux impropres à la consommation humaine (eaux pluviales, eaux grises notamment) pour des usages domestiques et les eaux réutilisées dans l'agroalimentaire.

Enfin, le Plan Eau 2023 rappelle que pour les usages non encore encadrés, il est possible de réaliser une expérimentation en recourant au dispositif France Expérimentation. Ce dispositif interministériel permet de lever les freins réglementaires le temps de tester une solution innovante. Il peut conduire par la suite à une évolution réglementaire.

Premières avancées vers la simplification administrative

Le nouveau décret simplifie en partie la procédure d'autorisation précédente, notamment lorsque les usages sont soumis à un arrêté spécifique existant. Dans ce cas, les avis du CODERST* et de l'ARS* ne sont plus nécessaires. Mais en l'absence d'arrêté spécifique d'usage, et sous réserve que l'usage ne soit pas interdit, alors la demande d'autorisation devra obtenir un avis favorable de ces deux instances. Il convient de noter que l'ARS pourra éventuellement solliciter l'ANSES* via le ministre en charge de la Santé.

Par ailleurs, l'autorisation obtenue n'est plus limitée à 5 ans. Cette disposition qui était jusqu'à présent très limitante redonne de la perspective aux porteurs de projets. Cependant, un bilan complet des impacts environnementaux et sanitaires et de l'intérêt économique de l'installation est demandé tous les 5 ans. Il est transmis par le préfet au CODERST pour avis.

Comment faire émerger des projets d'intérêt puis les déployer sur un territoire ?

Malgré les limites précédemment évoquées, ce décret ouvre de nouvelles perspectives pour déployer des projets de REUT sur un territoire. Les retours d'expérience de ces projets, encore peu développés en France, insistent sur la nécessité d'une démarche progressive et rigoureuse combinant l'évaluation du potentiel, l'analyse des risques pour l'environnement et la santé, et la concertation avec les différentes parties prenantes.

L'évaluation du potentiel de REUT du territoire constitue la 1ière étape. Elle repose sur une étude d'opportunités croisant les gisements de stations de traitement des eaux usées et les besoins pré-identifiés du territoire au regard des enjeux de gestion intégrée, raisonnée et concertée des ressources. Elle intègre ainsi nécessairement une analyse de sensibilité des milieux aquatiques (contribution du rejet au soutien d'étiage, eaux de baignade...) et de l'évolution des ressources en contexte de changement climatique. Elle permet de sélectionner les projets qui réunissent les meilleures conditions de réussite. Chacun de ces projets peut alors faire l'objet d'une étude technico-économique qui statue sur la faisabilité avant déploiement.

Il convient enfin de rappeler que ces projets viennent compléter les indispensables efforts à consentir pour réaliser des économies d'eau sur le territoire (sobriété des usages, réduction des fuites sur les réseaux d'eau potable...).

Au-delà de la REUT et des usages déjà autorisés, les futurs décrets pourraient ainsi ouvrir d'autres perspectives en facilitant les projets de réutilisation d'eaux multisources/multiusages. Cela permettrait de mieux valoriser encore d'autres eaux dites non conventionnelles, comme les eaux de piscine, dans les usages urbains, agricoles et industriels du territoire.

*Lexique

REUT : réutilisation des eaux usées traitées

ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail
ARS : Agence régionale de santé
CODERST : Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques

Encart technique

Caractéristique technique d'une station d'épuration de 200 équivalents-habitants : CBPO ≥ 1,2 kg/j de DBO5
CBPO : Charge brute de pollution organique produite. Exprimée en kg/j de DBO5.
DBO5 : Demande Biologique en Oxygène dur 5 jours. Représente la quantité d'oxygène nécessaire aux micro-organismes pour dégrader l'ensemble de la matière organique d'un échantillon  d'eau maintenu à 20°C, à l'obscurité, pendant 5 jours.

 

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